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Le Salon de Mme Verdurin
8 octobre 2005

Johnny s'en va-t-en guerre (Johnny got his gun), de Dalton Trumbo

     "Sa pensée s'égarait de nouveau. Il était blessé. Grièvement blessé. La sonnerie faiblissait. Il rêvait. Il ne rêvait pas. Il était réveillé même s'il ne voyait rien. Il était réveillé même s'il n'entendait rien à part ce téléphone qui ne sonnait pas pour de bon. Il avait une peur terrible."

    Publié en 1939, au tout début de la seconde guerre mondiale, Johnny s'en va-t-en guerre connut tout de suite un succès phénoménal. Il racontait en effet l'histoire d'un homme physiquement anéanti par la guerre, mis en pièce par un obus, et "sauvé" par la médecine, qui lutte pour rester un homme, en pensée du moins, puisque son corps n'est plus qu'un "morceau de viande". Le livre fut rapidement épuisé et, pour des raisons d'effort de guerre notamment, ne fut réédité qu'après 1945. Il retrouva son statut de mythe et connut son apogée lors de la guerre du Vietnam.

 

    Son auteur, Dalton Trumbo, qui adapta lui même son livre au cinéma*, fut l'une des victimes du harcèlement maccarthyste**, et dut s'expatrier, au même titre qu'un certain nombre d'intellectuels et de personnalités d'Hollywood, soupçonnés d'anti-patriotisme.

 

Affiche du film

 

    Tout cela pour expliquer que Johnny s'en va-t-en guerre fait partie des livres qui ont marqué au moins deux générations d'Américains,. On le trouve, dans certains témoignages, comparé au On the Road, de Kerouac***. Ce n'est pas tant à cause des thèmes abordés que par l'engouement qu'ils provoquèrent tous deux dans une partie de la population qui se cherchait, après des bouleversements […], une nouvelle identité.

 

    Du fait des images terribles qu'il suggère, et également de la position politique de son auteur,Johnny s'en va-t-en guerre est donc considéré comme un classique de la littérature anti-militariste. Le discours anti-militariste dans le livre est cependant assez discret, et c'est pourquoi, il me semble, ce texte offre une lecture à au moins deux degrés, celui de la contestation politique, et celui de la reconstruction personnelle.

 

    La progression de Johnny est assez simple. Elle entrelace des chapitres narrant les souvenirs de Joe Bonham, et d'autres suivant pas à pas la redécouverte de son corps mutilé puis de son esprit. Tout est évidemment vu de l'intérieur. Certes, la narration fait alterner la première et la troisième personne, mais il s'agit presque toujours, dans ce dernier cas, d'un discours indirect libre. La focalisation serre toujours au plus proche les émotions et sensations de Joe, sans pour autant forcer le lecteur à "devenir" Joe, ce qui serait, on peut le penser, intolérable. A vrai dire, lors des passages à la troisième personne, on a un peu l'impression que l'homme sort de son corps pour se pencher sur ses souvenirs, et y assiste en spectateur, comme le lecteur.

 

    Chronologiquement, les chapitres liés au présent suivent donc le cheminement interne de Joe. Au tout début du livre, alors que sa conscience a du mal à émerger des rêves dans lesquels il flotte probablement depuis sa rencontre avec l'obus, il se pense "malade". Cela reste flou, et confondu avec un souvenir. Il n'est pas anodin que ce soit celui de la mort de son père. La figure du père court dans l'ensemble du texte, et au moment ou Joe va découvrir la quasi-mort de son propre corps, sa mort au monde en tout cas, c'est la mort de son père qu'il revit.

 

     Johnny découvrira ensuite progressivement qu'il a perdu tous les sens sauf celui du toucher, qu'il est devenu un homme tronc, et qu'il n'a plus de visage. Qu'il n'a plus, en somme, d'identité, ni de moyen de communiquer avec l'extérieur. Il est emprisonné dans son propre corps et face à face avec lui.

 

L'hopital

 

    "La guerre était une époque merveilleuse pour les docteurs et il avait eu la chance de profiter de toute l'expérience qu'ils avaient acquise. Mais il y a une chose qu'ils ne pouvaient pas faire. Ils étaient peut-être parfaitement capables de remettre un gars dans l'utérus mais ils ne réussissaient pas à l'en ressortir. Il y était pour de bon. Toutes les parties du corps qu'il avaient perdues il les avait perdues pour de bon. Voilà ce qu'il ne devait pas oublier. Voilà ce qu'il devait s'efforcer de croire. Une fois qu'il s'était mis ça dans la tête il arriverait à se calmer et à réfléchir."

 

    Réfléchir. C'est exactement ce que Joe va s'employer à faire. Il commence par tester sa mémoire, ses capacités de calcul. L'une de ses plus grandes victoires est la maîtrise du temps. Mais ce contact à sens unique avec le monde, la réception d'informations extérieures ne lui suffira pas. Il s'attaquera à la communication, à transmettre à son tour. Et se heurtera à ce monde qui ne veut pas entendre ce qu'il a à dire.

 

    L'émotion réside essentiellement dans l'entremêlement des cris muets de Joe, et de ses souvenirs de jeune Américain moyen et anodin. Cette remémoration permanente, toute en demi-teintes, d'une vie qui ne fut ni un échec ni un succès, et qui ne trouvera jamais d'aboutissement, met en évidence l'importance des buts infimes que s'assigne Joe. Et justifie sa rage, quand il s'aperçoit qu'on ne le laissera pas rentrer dans le monde dont il a été exclu. Même par ses propres moyens. Même maintenant qu'il a trouvé une raison de le faire et de vivre sa vie jusqu'au bout, telle qu'elle est.

 

    Le titre anglais a un double sens: "Johnny a pris un fusil" et "Johnny a reçu un fusil, on lui a mit un fusil entre les mains". Ce titre, et les dernières lignes du livres disent toute la colère de celui qui réalise qu'on l'a utilisé, et qu'il n'y aura pas de contrepartie, même infime.

 

    D'un discours absolument autarcique, introspectif et halluciné, Joe en viendra à s'écrier à la face des dirigeants, au nom de "tous les hommes de la terre":

 

    "Nous nous servirons des fusils que vous voulez nous mettre entre les mains nous nous en servirons pour défendre notre vie et le danger qui menace notre existence ne se trouve pas de l'autre côté de la ligne d'un front établi sans notre consentement le danger se situe à l'intérieur de nos propres frontières ici même à la minute présente nous nous en sommes aperçus et nous sommes payés pour le savoir.

 

    Mettez nous des fusils entre les mains et nous nous en servirons. Donnez-nous des formules et nous les changerons en réalités concrètes. […] Ne vous y trompez pas nous vivrons […] Faites des projets de guerre vous les maîtres du monde faites des projets de guerre montrez-nous le chemin et nous prendrons nos fusils."

(article de Nanou)
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Notes

 

* Pour en savoir plus sur le film Johnny got his gun: jetez un oeil sur ce site

 

** Pour en savoir plus sur le Maccarthysme: faites un tour ici

 

*** Pour en savoir plus sur Kerouac: allez donc voir là


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Commentaires
T
très bon message bravo, et si tu nous palrlais un peu du film?<br /> j'ai connu l'histoire en gros avec la chanson de metallica One qui reprend les grandes lignes, ça m'interesse beaucoup.
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