La trilogie Lloyd Hopkins, de James Ellroy
- Lune sanglante (Blood on the Moon)
- A cause de la nuit (Because of the night)
- La colline aux suicidés (Suicide Hill)
Etant donnée l'oeuvre foisonnante d'Ellroy, il n'était pas idiot de
regrouper ces trois romans, qui peuvent d'ailleurs tout à fait se
concevoir comme un tryptique. La trilogie devait pourtant à l'origine
être une tétralogie. Hopkins a fini par se lasser de son remuant héros.
Faut dire qu'il doit être usant à écrire...
Lloyd
Hopkins. Contrastant violemment avec des générations de flics lisses,
valeureux et sans reproches, il est au contraire plein d'aspérités.
Violent, sensuel -peut-être même pathologiquement sensuel, si cela peut
se concevoir- , dangereusement séduisant, obstinément rebelle à sa
hiérarchie, génial au sens le plus propre du terme, toujours sur le fil
du rasoir, shooté aux amphétamines, à la limite de la rupture. Un
redresseur de torts halluciné qui conçoit la mort à la fois comme une
vengeance et un geste de miséricorde. Déterminé à se perdre si c'est la
contrepartie exigée pour avoir mis un terme au carnage d'un tueur fou.
Hopkins
est le prototype de la démesure. Choisir de regrouper ces trois romans
sous le titre "La trilogie Lloyd Hopkins", c'est non seulement rappeler
qu'il est le protagoniste des trois textes, mais également montrer
comment, au fond, il EST ces trois polars. Ellroy détaille, sous toutes
leurs coutures les démences qui auraient pu être celles de son
policier, lui même profondément traumatisé par une série d'événements
plus ou moins anciens. Hopkins, animé d'une lucidité confinant à la
folie, reconnait et prend acte des points de rapprochement, voire
d'identité, entre lui-même et les psychopathes qu'il traque. Ce qui est
certainement la raison pour laquelle, en général, la mort est le seul
dénouement envisageable. Les rouages de l'administration judiciaire et
policière ne sont là que comme commodités, obstacles, ou cadres de la
corruption et de la pourriture ambiante. Jamais comme l'aboutissement
des affaires d'Hopkins. Mais, finalement, c'est que la résolution de
ces enquêtes passe toujours par la plongée dans le psychisme des
criminels, et de l'humanité dans ce qu'elle peut avoir de plus torturé
et torturant. Elle n'est pas, ne peut pas être le fait d'une
institution désincarnée. Hopkins, malgré ses maîtresses, ses filles,
ses rares amis, est toujours seul, face à un autre homme, seul.
Les trois bouquins, bien que l'auteur les ait relégués au rang
d'oeuvres de jeunesse, s'inscrivent parfaitement dans la production de
celui-ci. LA apparaît en toile de fond comme la ville de la corruption,
de la drogue, de la prostitution, avec toutes les magouilles sordides
que cela implique. Mais aussi, étrangement, une sorte de mysticisme, de
rédemption par la violence qui court dans l'ensemble des trois romans.
Les intrigues sont relativement plus simples que ce qu'on peut lire
parfois chez Ellroy, mais conservent une construction très maîtrisée et
assez complexe, notamment dans l'organisation des différents points de
vue, et parfois des différentes époques. L'écriture est rapide, tout
aussi sensuelle et hallucinée que le personnage central. J'aurais
tendance à dire "incandescente", si le mot n'était pas un peu
galvaudé. Le lecteur est pris dans une espèce de touffeur, parfois noyé
sous la luxure, la culpabilité ambiante, la violence. La tendresse
aussi.
Et parce que certain d'entre vous aiment bien avoir un apercu du
style (mais je ne vous dis pas dans lequel des trois romans ca se
trouve, pour qu'il reste un peu de suspense, quand même :) )
Une
série de hurlements atroces suivit, des bruits que nul illusionniste
n'aurait pu faire naître de ses artifices. Lloyd murmura: "non, non,
non" jusqu'à ce que retentisse la voix éléctronique: "Jetez vos armes
et sortez à ma rencontre, ou elle meurt."
Lloyd lança avec violence sa carabine sur la route. lorsqu'elle
résonna sur la chaussée, il se leva et se fourra son .44 magnum dans le
dos, dans sa ceinture. Il descendit la pente en trébuchant, sachant que
lui et son double maléfique allaient périr ensemble sans personne si ce
n'est cette femme qui hurlait poour rédiger leur épitaphe. Il murmurait
"lapin au fond du trou, lapin au fond du trou" lorsqu'une lumière
blanche l'aveugla et qu'un marteau chauffé a blanc se fracassa juste au
dessus de son coeur. il vola à nouveau dans la poussière et roula tel
un derviche alors que la lumière pénetrait de ses faisceaux le sol à
son côté. Il essuya la poussière et les larmes de ses yeux et rampa
vers la chaussée, observant les réflexions du projecteur illuminer
petit à petit Teddy qui tenait Kathleen Mc Carthy devant la cabane. Il
déchira sa chemise trempée de sang et tâta sa poitrine, puis, dans une
torsion du bras droit, se palpa le dos. Blessure avec trou d'entrée
petit et orifice de sortie bien net. Il aurait l'énergie nécéssaire de
tuer Teddy avant de saigner à mort. Lloyd sortit son .44 et s'étentids
face contre terre, les yeux sur les deux projecteurs près de la cabane
à outils. Seul le projecteur du haut était allumé. Teddy et Kathleen
étaient juste en dessous, quinze mètres de goudron et de terre les
séparant de la gueule de son canon portatif. Une balle pour le
projecteur: une balle pour faire sauter la tête de Teddy.
(par Nanou)
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Sur l'auteur: Ellroy Confidential