Mars, de Kim Stanley Robinson
Il s'agit en fait d'une trilogie, qui comprend
- Mars la Rouge
- Mars la Verte
- Mars la Bleue
Les titres traduisent les différentes étapes de cette
chronique, qui narre la conquête de Mars par les terriens. Mars la
Rouge
voit le voyage vers Mars, puis l'installation d'un premier groupe
réduit d'humains (les "Cent Premiers"), grâce à des procédés techniques leur permettant de
survivre
dans ce milieu hautement inhospitalier. Mars la Verte raconte les
débuts de l'acclimatation. Un peu paradoxalement, c'est d'ailleurs la
planète qui, peu à peu, et plus ou moins difficilement, est adaptée à
ses nouveaux habitants. Enfin, dans Mars la Bleue,
la planète une fois terraformée, on se retrouve confronté à
l'après-conquête. C'est là que vont s'exacerber au plus haut point les
relations déjà tendues entre la Terre et Mars.
Cette trilogie fait indéniablement partie de ce que
l'on pourrait appeller la science-fiction hypoerréaliste. Elle se
déroule tout d'abord dans un futur assez proche, et ne s'étend que sur
quelques générations. Ces chroniques martiennes se révèlent étroitement
liées à une certaine forme de chroniques terriennes.
La conquête martienne est clairement motivée comme une décision
de politique terrienne (à cause de problèmes de surpopulation,
notamment). Mars est également un enjeu économique de taille, et les
vautours des multinationales se mettent rapidement à cercler autour de
la jeune "nation". D'autant plus que même sur Mars, tout le monde n'est
pas d'accord sur les orientations à prendre. Grosso modo, les points de
friction se créent entre partisans de la terraformation et d'une
adaptation de la planète aux humains, et amoureux de la planète telles
qu'ils l'ont découverte, sauvage et dure. Entre les "rouges" et les
"verts", en somme, ces termes faisant évidemment référence à la couleur
du sol (avec ou sans végétation), et non pas aux distinctions
politiques terriennes du XX° siècle.
Dans cette
fresque foisonnante, se mêlent donc des intrigues politiques assez
complexes (entre différentes factions sur Terre, entre différentes
factions sur Mars, entre Mars et la Terre, entre héritiers des
anciennes nations terriennes sur Mars, etc...). Mais le lecteur voit en
fait Mars se construire sous ses yeux, et l'auteur le met face aux
détails techniques, écologiques, géologiques, sociologiques, etc... Et
les détails des processus sont accompagnés, en filigrane, d'une analyse
sociale et écologique très pertinente. Les tentations de
l'isolationnisme martien face aux potentiels envahisseurs terriens
chassés de la planète-mère par le surpeuplement et les catastrophes
écologiques est un moment fort de ces analyses croisées.
C'est là que réside tout l'interêt, à mon sens, de cette série, mais
aussi une bonne part de sa difficulté. L'écriture est très dense, les
trois bouquins relativement longs (entre 600 et 850 pages chacun -bon,
ok, "très longs"), et touffus. Les relations humaines décrites sont
assez dures, et le deviennent de plus en plus, au fur et à mesure que
les personnages vieillissent (leur existence est prolongée par la
technique) et s'aigrissent dans leurs rôles respectifs.
Il n'est pas inutile de préciser aussi que la trilogie martienne
est assez dénuée d'humour, et même parfois, d'espoir. Il faut savoir
que c'est là un récit assez austère, et comme je l'ai dit, difficile
d'accès. L'immersion dans la fiction n'est pas évidente, justement
parce que le style, la technicité du contenu, et les noeuds d'intrigue
freine la lecture. Ainsi que par exemple, les termes de géographie
martienne, qui ont tendance à perdre le lecteur, en l'absence d'une
carte (correcte). La trilogie martienne est un texte qui résiste, et
qui ne saurait se satisfaire d'une lecture passive. Ce n'est pas un
sucre d'orge apportant la satisfaction immédiate du sucre. Plutôt
quelque chose de nourrissant à long terme, mais qu'il faudrait mâcher
et remâcher.
Je ne suis même pas tout à fait
certaine de l'aimer. Mais je la trouve certainement intellectuellement
stimulante.
Enfin faut être d'humeur et de carrure,
et disposer de pas mal de temps et de liberté d'esprit pour s'enfiler
les trois tomes d'affilée (ce que, personnellement, je n'ai pas fait.)
Avis aux amateurs :D
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Juste un extrait du début de
la série: Les cent cinquante colons potentiels sont réunis dans une
base en Antarctique, afin de préparer leur voyage pendant une période
préparatoire, au terme de laquelle seront choisis les "Cent premiers",
qui partiront effectivement sur Mars. Ce passage me semble révelateur
de l'instabilité sur laquelle se fondent les prémices de l'aventure. Le
point de vue est ici celui du
psy de service (Francais :D), Michel Duval:
" Ceux qui étaient rassemblés à McMurdo
constituaient un groupe impressionnant de spécialistes dans des
sciences et professions diverses, et ils consacraient en plus une bonne
part de leur temps à se former dans des domaines supplémentaires, à
échanger leur spécialités.
Mais sur chacune de leurs activités
pesait constamment le poids de l'observation, de l'évaluation, du
jugement. C'était une procédure stressante et qui faisait partie du
test. Michel Duval avait le sentiment que c'était une erreur, car cela
avait tendance à enraciner la réticence et la méfiance chez les futurs
colons, ce qui empêchait par là même cette compatibilité que le comité
de séléction était censé viser. Encore une contradiction de fait. Les
candidats prenaient assez calmement cet aspect des choses, et il ne
pouvait leur en vouloir. Il n'existait aucune strategie plus effeicace,
et cette contradiction assurait le silence. Ils ne pouvaient
s'autoriser à offenser qui que ce soit, ni à trop se plaindre. ils
auraient couru le risque d'être écartés, et de se faire des ennemis.
Ils se montraient donc tous suffisamment brillants et talentueux
pour être distingués, mais suffisamment normaux pour pouvoir continuer.
Ils étaient assez agés pour avoir beaucoup appris, mais encore
suffisamment jeunes pour supporter les rigueurs physiques. Ils étaient
assez motivés pour se montrer performants, mais assez détendus pour
être sociables. Et ils étaient tous assez dingues pour vouloir quitter
la Terre à jamais, tout en étant suffisamment équilibrés pour cacher
leur folie fondamentale,qu'ils défendaient en fait comme étant purement
rationnelle, issue de la curiosité scientifique ou de telle ou telle
attraction comparable. Ce qui paraissait la seule raison acceptable de
vouloir effectuer ce voyage.[...] Ils devaient être à la fois
extraordinaires et extrêmement ordinaires, pris isolément ou tous
ensemble. Un défi impossible, et qui constituaient pourtant un
obstacles aux désirs les plus profons inscrits dans leur coeur, qui en
faisaient l'essence même de l'anxiété, de la peur, de la rancune, de la
colère. Et qui dominait tous les autres stress...
Mais cela aussi faisait partie du test. [...]"