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Le Salon de Mme Verdurin
25 novembre 2007

Le goût de l'immortalité, de Catherine Dufour

Présentation de l'auteur

  Lorsqu'on m'a offert pour la première fois un livre de Catherine Dufour, voici la première chose que j'ai lue à son sujet sur la quatrième de couverture : "Catherine Dufour est née en 1966. Elle commence à écrire à 7 ans. A 27 ans elle découvre l'œuvre de Terry Pratchett, jette 3.5 kg de manuscrits à la poubelle, et recommence tout à zéro". Depuis l'auteur français a publié divers livres de fantasy déjantés, puis de science-fiction sérieux : c'est ce que j'ai découvert par hasard en furetant - accompagné de notre Mlle Moi nationale - dans les rayons d'une librairie à la recherche d'un cadeau d'anniversaire pour un ami. Le goût de l'immortalité (249 pages seulement, ça nous change des trilogies) a reçu le Prix Bob-Morane 2006, le Prix Rosny aîné 2006, ainsi que le Grand Prix de l'Imaginaire 2007. Du coup je l'ai acheté. Pour moi.

L'histoire

  Ce récit prend la forme d'une (longue) lettre, dans laquelle la narratrice raconte à son correspondant (et ainsi à nous, lecteurs) une bonne partie de sa vie et de celles d'autres personnes qu'elle a connues. Le tout brosse un tableau de notre bonne vieille Terre dans une centaine d'années. On découvre dans un premier temps l'histoire de la narratrice et de Cmatic, un drôle d'homme embarqué dans une sombre machination. Dans un second temps, on suit les péripéties de Cheng et de Nakamura dans leur survie souterraine. Jusqu'à ce que ces deux drôles de "couples" se croisent, à la fin. Je ne peux pas vraiment en dire plus sur l'intrigue : il me faudrait environ 250 pages pour être complet.

Ce que j'en retire

  La première chose qui m'a marqué, c'est la vision du futur que l'auteur nous propose : je trouve souvent que les auteurs de science-fiction nous dépeignent des univers assez stéréotypés, et au final assez peu crédibles. Je suis de ceux qui pensent que le futur ne se résume pas à des architectures bizarres et quelques gadgets technologiques... Catherine Dufour nous parle de géographie, de politique, bref de géopolitique, d'ethnies et de peuples... et au lieu du tableau gris et monochrome qu'on nous sert d'habitude, on retrouve un monde varié et pluriculturel, étrange, sombre et puissant, qui au final sonne bien plus juste que l'ambiance cyberpunk froide que l'on rencontre dans les autres œuvres d'anticipation.

    Autre point fort : les personnages. Encore une fois loin des stéréotypes, complexes comme nous le sommes tous, ils ont une densité et une réalité tangible. De l'étrange Cmatic à la terrible Iasmitine, du solide Nakamura à la survivante Cheng, du psychopathe génial Path à notre morte-vivante narratrice, tous ces destins se croisent et se mêlent, comme autant de reflets de l'univers dans lequel ils évoluent.

  Enfin, je mentionnerais une intrigue solide : comme dans "Merlin l'Ange chanteur" (le premier livre de fantasy déjanté que j'avais lu de Catherine Dufour), je me suis longtemps demandé où ce roman m'entraînait ; s'il y avait vraiment un fil conducteur ; si les pièces du puzzle s'assembleraient finalement ; si l’histoire était plus qu’un prétexte. La réponse est oui. La narratrice déstabilise, vous parle à la seconde personne du singulier, vous prend à témoin, mais au bout du compte elle ne vous laisse pas tomber en route. La narration est précise, et elle a un but à atteindre. Qu'elle atteint, bien entendu.

  Avertissement aux fans de SF : ce n'est pas un livre d'action, ni un space opera. Il n'y a pas de courses poursuites infernales en voiture qui vole, de combats au sabre laser, de chorégraphies d’arts martiaux. Pas de suspens artificiel non plus, de chapitre se terminant sur un coup de théâtre, de rythme trépidant. C'est une lettre, un tableau peint en détail à l'aide d'une verve d’une grande beauté et qui ne laisse pas indifférent. Ces descriptions de vies ("de morts" serait plus exact, mais je vous laisse découvrir cela) donnent forcément envie de collectionner toutes les pièces du puzzle, toutes les vignettes de ce grand album panini. Au final nous avons une œuvre ni gaie ni optimiste, mais qui pose des questions d'une grande lucidité et fait réfléchir... comme le doit (à mon sens) un vrai livre de science-fiction.


Conclusion et extraits

  Pour vivre éternellement, jusqu'où sommes-nous prêts à aller ? J'ai retrouvé dans ce livre tout ce qui m'avait plu dans l'écriture de Catherine Dufour : une originalité, de la profondeur dans l'histoire, les personnages et les lieux, un univers sombre (non : noir), et un ton mordant qui frappe quand il le doit, qui touche sans mièvrerie, et fait sourire, souvent. Rien à dire : elle a le sens de la formule choc, et un style à pleurer de bonheur et de beauté... comme je vais tenter de le prouver en intégrant ici quelques extraits (misère, que c'est dur de choisir) :

« Mes hésitations à entrer dans le vif du sujet tiennent davantage à la forme qu’au fond.
[…]
J’hésite sur la forme. Quant au fond, je peux déjà vous promettre de l’enfant mort, de la femme étranglée, de l’homme assassiné et de la veuve inconsolable, des cadavres en morceaux, divers poisons, d’horribles trafics humains, une épidémie sanglante, des spectres et des sorcières, plus une quête sans espoir, une putain, deux guerriers magnifiques dont un démon nymphomane et une, non, deux belles amitiés brisées par un sort funeste, comme si le sort pouvait être autre chose.
A défaut de style, j’ai au moins une histoire. En revanche, n’attendez pas une fin édifiante. N’attendez pas non plus, de ma part, ni sincérité, ni impartialité : après tout, j’ai quand même tué ma mère.
Ce n’est pas un sujet qui peut se passer de mensonge. »

***

« Les refugee dont je veux vous parler, ceux qui ont accédé à une célébrité douteuse, sont nés un siècle après dolhen. J’ose prétendre qu’ils étaient, d’un point de vue humain, d’une tout autre valeur que dolhen et ses contemporains. Je fais du chronoracisme, d'accord, mais il m'est difficile de voir la fin du millénaire précédent comme autre chose qu'un panier de Crabes enragés, et d'imaginer à ses habitants, sauf exception, un niveau intellectuel au-dessus de la domotique. Quelle affinité voulez-vous avoir avec des gens qui se chaussaient de peaux de Bêtes, se chauffaient à l’uranium et pêchaient à l’explosif ? »

***

« Serrés sur le surf, slalomant entre les colonnes de sel-gemme, elle et nakamura se sentent bien. L’entente entre eux coule de source. Elle ne résout rien, ne promet rien et ne présage de rien, elle est. Cette évidence simplifie leur vie mais elle va sacrément compliquer leur survie. […] Je connais le précieux sentiment de connivence qui la lie à nakamura : cmatic me l'inspire et ne le partage pas. C'est aussi simple qu'une lame de rasoir.
" Dans le vent d’automne et la rosée de jade
Leur rencontre éclipse toutes les autres rencontres."
La peste soit des poètes larmoyants. »

***

« Il est mort bêtement, et ce n'est pas une chose qu'on pardonne à quelqu'un dont on avait besoin pour vivre. »



STV.
Pour le salon de Madame Verdurin
23/11/07

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Commentaires
S
J'en avais fait une mini-critique sur mon premier blog, mais c'est désormais perdu (ublog, repose en paix). C'est du Terry Pratchett en plus mordant et incisif. Terrible.
M
(Ca ME fait penser qu'il y a un texte à toi quelque part dans mes archives :p)<br /> <br /> Moi j'aimerais bien une critique sur la partie délirante de l'oeuvre de Dufour, pour voir :D<br /> (non, j'ai pas honte de réclamer, merci)
C
Waouh. Le salon de Mme Verdurin qui repart! Ça fait un bail, là.<br /> <br /> (Ça me fait penser qu'il doit y avoir aussi un article de moi qui traîne quelque part dans les archives de Mlle Moi).<br /> <br /> Merci STV de m'avoir fait découvrir cet auteur. Voilà qui va occuper mes prochaines visites à la bibliothèque.
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