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Le Salon de Mme Verdurin
27 novembre 2007

Un homme, de Philip Roth

    Question difficile : comment un individu moyen, de formation non littéraire, pourrait-il se prévaloir du jugement nécessaire à la présentation pertinente du énième bouquin d’un auteur régulièrement et de plus en plus précisément présenté comme nobélisable ? Peut-être en se limitant aux constatations les plus modestes :

 

    Le dernier roman de Philip Roth, Un homme, est court : une cent cinquantaine de pages. A l’instar d’autres œuvres courtes de Roth, il est puissant. Et, si Patrimoine (sur la perte du père) et La bête qui meurt (sur une ultime répétition de la comédie amoureuse) se situaient tous deux à la dernière extrémité de la vie, Un homme est une trajectoire, celle d’un personnage dépourvu de nom (mais dont l’année et le lieu de naissance, 1933 à Newark, NJ, coïncident avec ceux de Roth), depuis sa première maladie à 4 ans jusqu’à celle qui l’emporte à 71. Entre les deux, le trait est impeccable : enfance heureuse, mariage puis divorce (trois fois), solitude, et disparition. Et une constante : la mort, partout et toujours, du début à la fin, pour lui, ses très proches, ses moins proches, et les tout à fait lointains, ceux du 11 septembre et même de 1918. Les premiers mots du livre, « Autour de la tombe, … » sont pour la description de l’enterrement de cet homme, dans un cimetière lui-même à l’agonie. La mise en terre terminée, le narrateur prend soin de souligner que « D’un bout à l’autre de l’état, ce jour-là, il y avait eu cinq cents enterrements pareils à celui-là, ordinaires, sans surprise, et, hormis les trente secondes de flottement occasionnées par les fils – et le moment où Howie avait fait revivre avec une précision laborieuse le monde de l’innocence, tel qu’il existait avant l’invention de la mort, cette vie sans fin dans l’Eden de leur père, paradis de cinq mètres de large sur treize de profondeur, déguisé en bijouterie vieillotte -, un enterrement ni plus ni moins intéressant que les autres. » Ou l’art, de la première à la dernière page, de rappeler à son lecteur la banalité de n’importe laquelle de nos existences via la description de l’une d’entre elles, unique pourtant, et de pointer «la réalité écrasante de la mort ». Cette cohérence est présente d’un bout à l’autre du livre, mais la traduction ne permet pas toujours de réaliser à quel point : ainsi le titre original, Everyman, fait-il référence à un drame religieux médiéval à peu près anonyme de la fin du XVème siècle, où Everyman rencontre la Mort pour s’exclamer «Oh Death, thou comest when I had thee least in mind.» - «Ô Mort, tu viens au moment où je t’avais le moins à l’esprit.» Ça se tient.

 

    Alors, au milieu de cette litanie de maladies annonciatrices – hernie, appendicite, insuffisance rénale, coronaires et carotides bouchées, tumeurs diverses, dépression suicidaire-, de fuites inutiles, d’individus touchés au moins par la perte, une figure ressort irrésistiblement : celle d’Howie, frère aîné du personnage. Howie, à la santé insolente, déjà présent sur Terre à la naissance de son frère, toujours solidement là pour son enterrement, indemne de tout dysfonctionnement. Howie, ce pilier sur lequel s’appuyer lorsque le réconfort ne peut plus venir de personne, représente une exception, l’existence que tout un chacun voudrait se voir attribuer mais qui échoit toujours à un autre que soi, une publicité vivante pour un représentant en existences réussies. Pour mieux comprendre la raison de sa présence permanente au fil du livre, il faut peut-être alors lire, en ce qui me concerne, ou relire, pour d’autres, l’Ode à un rossignol dont Roth a choisi de placer quelques vers – sombres - en exergue de son roman. Et l’on apprend alors, quelques lignes plus bas dans le poème de Keats, que le rossignol est justement cet Oiseau immortel qui n’est pas né pour la mort, et après lequel chacun d’entre nous trouve toujours à gémir de sa condition à un moment ou à un autre. Qu’Howie puisse incarner cet immortel rossignol : cette possibilité suffit à rajouter encore un peu de souffle et d’élégance à un livre qui en est déjà solidement pourvu.

(par Lo)

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