Persépolis, de Marjane Satrapi
Une autobiographie en BD
Dans les quatre tomes de Persepolis, Marjane Satrapi nous raconte sa vie en Iran, de l’enfance (elle a 10 ans lors de la Révolution de 1979 qui renversa le Chah ; l’année suivante, une Révolution Culturelle porte les Islamistes au pouvoir), à l’âge adulte. Marjane est issue d’une famille riche ; elle descend de la famille royale Qadjar, dont la dynastie régna sur la Perse de 1795 à 1925. A ces origines princières et à l’héritage religieux musulman s’ajoutent les convictions communistes de ses parents, ce qui n’est pas sans créer quelques contradictions gênantes que la jeune Marjane parvient cependant à surmonter : ainsi, dans son imaginaire d’enfant, Dieu ressemble-t-il étrangement à Karl Marx.
Dans le premier tome, elle nous raconte les espoirs soulevés par l’éviction du Chah, le souverain d’Iran, en 1979. La plupart des Européens, qui se souviennent des bonnes relations de l’Occident avec celui-ci, et surtout du fait que les années qui ont suivi la Révolution ont vu la mainmise des Islamistes sur le pays, considèrent le Chah comme un bon souverain, que les méchants fanatiques auraient chassé du pouvoir pour imposer leur régime autoritaire. Mais les Iraniens eux-mêmes ne sont pas de cet avis, comme nous le dit Marjane Satrapi dans une interview :
« (…) Tant de gens en Europe ont une véritable vénération pour le Chah. Pour moi le Chah était un salaud. Il faut le dire. Certes, il y avait quelques grands hôtels de luxe, le Hilton et le Sheraton, et quelques kilomètres d’autoroutes, mais quand il est parti la moitié de la population était illettrée et vivait dans une misère terrible: c’est inacceptable dans un pays ayant autant de pétrole, tout le monde aurait dû vivre de façon correcte… »
Marjane Satrapi nous montre ici une Révolution lancée par les forces de gauche, et s’appuyant sur le mécontentement du pays contre le souverain. La petite Marjane, qui a bien lu sa BD intitulée Le Matérialisme dialectique, est toute prête à participer, même si ça la pousse à abandonner sa vocation de prophète.
Dans le deuxième tome, l’Iran est envahi par l’Irak, tandis que la fameuse Révolution Culturelle pèse sur le pays. Marjane a douze ans et ne s’en laisse pas compter pour autant.
Avec sa famille, elle apprend à résister en cachette, en participant à des fêtes, ou en se moquant du cérémonial de guerre appris à l’école.
Mais elle découvre aussi la réalité de la guerre et des bombardements, ce qui la fait sans doute vieillir plus vite. A la fin du tome, Marjane a 14 ans. Elle a déjà fumé sa première cigarette en cachette, elle se considère comme grande. Pour la protéger de la guerre, ses parents l’envoient dans un lycée français, en Autriche.
Dans le troisième tome, Marjane adolescente se retrouve en Autriche, dans une société bien différente, et où le sort de l’Iran laisse les gens froids. Tout en vivant les tourments, les transformations physiques et les découvertes diverses liées à son âge, elle cherche à s’intégrer, au point d’en renier par moments ses origines.
Dans le quatrième tome, Marjane retourne vivre en Iran, où elle fait des études d’arts graphiques et où elle essaie de vivre sa vie d’étudiante malgré le poids de l’intégrisme dans la société. Elle se marie, mais finit par divorcer et part en France.
Bien sûr, toute autobiographie ne saurait prétendre raconter vraiment la réalité. C’est plutôt une réalité qui nous est ici donnée, un point de vue, celui d’une jeune fille iranienne progressiste. Mais ce point de vue est très réaliste car il semble reproduire la vie-même : les douleurs, les moments de bonheur, le rire et la mort sont tous également présents et évoqués avec naturel.
Les trois Marjane : Marji, Marjane, et Marjane Satrapi
Comme dans toute autobiographie, nous avons plusieurs voix qui cohabitent. D’abord, celle de la Marjane actrice des évènements, celle qui est dessinée et que l’on voit passer de l’âge enfant à l’âge adulte.
Ensuite, il y a la Marjane narratrice, celle qui nous raconte l’histoire, avec humour et avec une certaine distance.
Quand la douleur de la jeune Marji est trop forte, c’est cette Marjane-là qui parvient à l’évoquer dans un dessin ou, à défaut, dans des mots.
Enfin, il y a Marjane Satrapi l’auteur, celle qui a obtenu le prix du meilleur album en au festival d’Angoulême 2005 pour sa dernière BD, Poulet aux prunes, et dont le grain de beauté sur sa photo nous prouve qu’elle a quelque chose à voir avec la Marji des albums de Persepolis.
L’héritage de la bande-dessinée comique
Ce qui fait la réussite des albums de Persepolis, c’est la façon dont l’auteur sait manier les techniques de la bande-dessinée comique pour distiller ce ton si plein d’humour dans des situations a priori tragiques ou pathétiques.
Ainsi les souvenirs de Marjane sont-ils découpés en anecdotes, en mini-récits qui s’apparentent alors aux « gags » de la bande-dessinée humoristique. Le comique est alors un comique de « situation » : la jeune héroïne se retrouve mise en scène dans des petits sketches qui pourraient virer au drame, et qui parfois y passent effectivement.
Les commentaires de Marjane soulignent l’aspect théâtral et didactique du dessin, qui « montre » et nous « donne à voir » ce que Marjane est en train de nous expliquer.
Le comique est également servi par le dessin simple et très contrasté, en noir et blanc uniquement… (le gris est très rarement utilisé : on le retrouve uniquement dans les tableaux de guerre, auxquels il confère une dimension tragique plus accentuée). Le noir et blanc, lui, renvoie au style de la caricature, telle qu’on la trouve par exemple dans le Canard Enchaîné.
C’est enfin dans les expressions des personnages que le dessin va faire surgir le rire : les yeux ronds de Marjane quand il y a quelque chose qui la choque ou qu'elle ne comprend pas, valent les figures surexpressives de Gotlib. Marjane Satrapi évoque elle-même dans une interview son dessin comme un «dessin minimaliste », mais où elle « travaille beaucoup les expressions ».
La Satire sociale : rire de la guerre et du fanatisme
Persepolis n’est pas seulement une autobiographie ; c’est aussi la chronique d’un pays toujours en guerre, l’Iran, qui fut autrefois la Perse. Le titre, Persepolis, qui renvoie sans doute à la ville de Téhéran, et les dessins des couvertures illustrent ce thème de la violence : le cheval, instrument de guerre, est toujours présent, avec des hommes armés et figés dans des attitudes belliqueuses. Une exception : sur la couverture du quatrième tome, Marjane de profil, à l’arrêt, sans arme, et l’air un peu ahuri, semble se demander quel est le sens de toutes ces absurdités.
Ainsi, loin des clichés pathétiques (même si pourtant ils sont forts, comme dans Latifa, visage volé, un témoignage d'une jeune fille d'Afghanistan), on arrive à rire de situations horribles, ce qui permet dans un sens de mieux les comprendre, comme si le rire donnait une distance qui nous mettait à même de mieux apprécier la réalité dans toutes ses nuances.
Comme Marjane le fait remarquer elle-même dans le tome 4, après ses retrouvailles avec un ami d'enfance mutilé de guerre (ils ont passé leur temps à raconter des blagues) : "Ce jour-là, j'appris une chose fondamentale : on ne peut s'apitoyer sur soi que quand nos malheurs sont encore soutenables... Une fois cette limite franchie, le seul moyen de supporter l'insupportable, c'est d'en rire."
Conclusion : « La première BD iranienne » (David B.)
En usant de la forme autobiographique et de la légèreté de la bande dessinée humoristique, Marjane Satrapi parvient à nous emmener en Iran et à nous faire découvrir, par de multiples scènes simplement croquées, la réalité d’un pays à la fois lointain et proche de nous. Au-delà des clichés, le lecteur apprend à remettre en question les théories simplistes et à rire de l’absurdité des hommes, quels que soient leurs idéaux.
(article de Crookshank)
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Une fois n'est pas coutume, j'ai décidé de donner ici un apercu
des commentaires postés sur le forum à la suite de cette critique de
Crook.
Voila donc quelques extraits des réactions... pour les lire en intégralité, n'hésitez pas à passer sur le forum, ca peut en valoir la peine ;D.
La webmasteuse
"[...] Je crois que la tendance d'un dessin très réaliste, très léché, ne vient qu'avec l'évolution de la BD
vers d'autres domaines que l'humour [...]
Le
noir et blanc est un art qui n'est pas limité aux feuilles de chou à
grand tirage ! Je pense à des "grands maîtres" de la BD en noir et
blanc, comme Hugo Pratt naturellement, Tardi, Comès, Gotlib et
Brétécher pour la BD humoristique. Enki Bilal aussi a fait du noir et
blanc dans ses débuts. [...] Et plus récemment, on peut citer des gens
comme Baudoin, ou encore Boilet et David B. qui appartiennent à la même
"nouvelle vague" que Satrapi.
Et je pense que derrière leur noir et blanc, il y a une double
référence aux comics américains et aux mangas japonaises.
"Ce
dessin minimaliste", pour finir, puisque c'est ainsi que le définit
l'auteur elle-même est peut-être minimaliste, mais il n'est pas
minimal. Il est au contraire très travaillé [...] et très nourri de
modèles et de références culturelles diverses. Je pense que c'est un
genre de dessin, de BD, que l'on pourrait comparer aux personnages de
comédie : [...] L'art du dessin comique relève du travail du dramaturge
: dégager en quelques traits (de plume ou de crayons) les expressions
et caractères qui feront rire..."
Amarante
"[...] souvent, et en particulier dans
des dessins comme ceux de Satrapi et Pratt [...],le noir et blanc joue
un grand rôle dans la mise en scène.
[...]le noir et blanc me semble particulièrement bien aller
avec la tendance autobiographique, et aussi avec le propos
mi-figue-mi-raisin, bien souligné par Crook. Est ce que le N&B ne
permet pas justement, à la fois, la distanciation et la dramatisation?
-la distanciation, parce que c'est déja, en soi, un travail sur
la réalité, à un niveau encore plus basique que celui du graphisme et
de la représentation [...]
-la dramatisation, parce qu'il y a quelque chose dans le noir et
blanc de terriblement net et lucide [...] C'est implacable.[...]"
Nanou
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Liens Internet
Interviews de Marjane Satrapi :
http://www.chris-kutschera.com/marjane_satrapi.htm
http://www.bdselection.com/php/?rub=page_dos&id_dossier=51
Critiques et commentaires sur la série :
http://www.bdparadisio.com/dossiers/persep/persep.htm
http://ossiane.blog.lemonde.fr/ossiane/2005/03/persepolis_de_m.html
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