Jules César, de Shakespeare
Bon ce soir, Indri et moi, on est allées voir Julius Caesar en
anglais au théatre de Chaillot. Il s'agissait d'une mise en scène de
Deborah Warner, avec beaucoup d'artistes, y compris certains que le
Nouvel Obs qualifient de "comptant parmi les meilleurs comédiens
anglais". Moi je ne connaissais que l'un d'entre eux.. (Ralph Fiennes
... rhaaa).
Mais je dois dire qu'ils étaient effectivement tous
excellents... Octave était un peu inconsistant, mais je pense que ca
tient d'avantage au texte qu'à l'acteur.
Voila.. Alors j'avais
lu des trucs dithyrambiques sur la mise en scène. Je suis partagée. Que
je vous explique... j'avais lu des choses sur "le dépouillement de la
mise en scène"... et on en parlait avec notre voisine (fort parisienne,
soit dit en passant), qui avait vu une Médée de la même metteuse en
scène, quelque chose de très intimiste nous dit-elle..
Bon, et
puis la pièce commence... la première partie comprend la machination,
l'assassinat, les harangues de Brutus et d'Antoine aux funérailles, et
les émeutes dans les rues, jusqu'a l'assassinat du poète Cinna (que la
foule a confondu avec le conjuré du meme nom).
Et là, la foule,
c'est une centaine de figurants, au moins .. autant pour le côté
"intimiste". La voisine était fachée à l'entracte.
Ensuite,
deuxième partie, c'est la préparation et le déroulement de la bataille
de Philippes.. et là c'est nettement plus dépouillé, pas de décor
quasiment, moins de persos sur la scène... mais bon.. quand même de
trucs qui tombent en vrac sur scène pour simuler le champ de bataille,
et un bruit absolument horrible aux changements de scènes (là c' était
vraiment déconné, j'ai failli ressortir sourde).
Et la voisine à la fin, elle était contente, elle avait trouvé la deuxième partie magnifique.
Bon, mon opinion à moi, maintenant.
J'ai
beaucoup aimé la première partie. Bon c'était pas intime, mais en même
temps, faut pas se foutre de la gueule du monde, Jules César c'est une
pièce politique, pas une pièce sur la nature humaine.
Et puis, les
scènes qui portent vraiment sur l'homme, c'est à dire principalement
celle où Brutus lutte contre lui-même, déchiré entre son amour pour
César et celui pour Rome, celles-la étaient vraiment intimes, très
dépouillées, très tragiques. Très belles.
Les scènes de foule,
elles étaient très fortes. En revanche. Les mouvements étaient
suffisamment bien pensées pour donner une impression d'anarchie tout en
gardant une efficacité remarquable. Parmi mes scènes préférées, il y a
évidemment les deux harangues de Brutus et Antoine. C'est là que la
foule prend toute l'ampleur de son rôle dans la pièce. Elle est
versatile, changeante, frivole, passionnée... débile. Belle et Débile,
avec une égale majuscule aux deux. Elle se fait le mur, sur lequel les
paroles de Brutus puis d'Antoine viennent frapper, le mur qui renvoit
un écho et fait vivre ces discours.
J'avais jamais lu Jules
César, à ma grande honte, avant... et ben Antoine, chez Shakespeare,
c'est autre chose qu'un soudard débauché et mal dégrossi, je peux vous
l'assurer.. dans un autre genre ca m'a fait penser à cette fameuse
scène ou Richard III retourne Lady Anne. Là c'est pareil, la foule, on
dirait un lapin qu'on écorche...zwip, en trois minutes elle est
retournée. Il est charismatique, drole, émouvant.. et je dois dire que
Ralph Fiennes est parfait dans le rôle. Un peu auparavant, il arrivait
sur scène, après l'assassinat de César, et se montrait faible,
chancelant, vulnérable, moitié de douleur, moitié par calcul. Mais
c'est dans la harangue qu'il se révèle, vraiment.
Cela dit, Brutus
est absolument magnifique aussi. On voit vraiment deux Brutus (deux
Bruti?) se dessiner: celui de la sphère privée, déchiré, déchirant,
ayant une scène magnifique avec sa femme, puis pleurant sur elle quand
il apprend sa mort.... Et puis celui de la sphère publique, meneur,
cynique, politicien en diable. Le premier à tremper ses mains dans le
sang de César et à tendre ses mains rougies au public. Mais aussi le
seul des conjurés présenté par Shakespeare comme agissant par pietas et
non pas cupidité ou envie.
Bon enfin voila... et la deuxième
partie, que la voisine à trouvée splendide m'a en revanche décue. Mais
je pense que ca tient en partie au texte, qui est nettement moins fort.
C'est répétitif (suicide des différents conjurés en croyant apprendre
ou apprenant effectivement la défaite face à Antoine et Octave), et pas
très dense du point de vue du texte. Octave n'apparaît que dans cette
partie, et comme je l'ai dit, il est assez fallot, au moins autant que
Lepide, c'est dire.
Les seules choses qui m'aient vraiment plues
dans la deuxième partie c'est le tout début (dispute entre Cassius et
Brutus, et puis le moment ou Brutus apprend à Cassius que sa femme
Portia est morte.. et là Cassius lui répond "How 'scaped I killing when
I cross'd you so? " C'est trop émouvant.), et la toute fin. L'éloge
funèbre de Brutus par Antoine.. il est d'ailleurs intéressant de voir
comment c'est Octave qui prend en charge le côté "officiel" et
"matériel" de la chose, les funérailles, etc.. alors que l'éloge
d'Antoine est celui d'un homme à un autre homme. Encore une fois la
sphère privée voisine avec et se détache de la sphère publique.
Je
suis pas bien sûre de la date à laquelle Shakespeare à écrit Jules
Cesar. Mais c'est marrant, pask'on retrouve plus oui moins ébauchés,
plus ou moins travaillés, des motifs apparaissant dans les tragédies
plus connues. Le spectre vengeur et hallucinatoire de la victime,
l'interaction entre le corps humain, le corps social, et le "corps" de
l'univers.
Bon bref, dans l'ensemble, j'ai aimé C'était
la dernière à Paris, je sais pas si la pièce va tourner... surtout que
c'est une production partagée entre le Luxembourg, l'Espage,
l'Angleterre et la France.. donc ca risque plutot de tourner sur chacun
des quatre théatres qui ont produit, qu'ailleurs dans les pays. Mais si
vous avez l'occasion de voir une autre mise en scène de cette dame, ça
a quand meme l'air d'être une assez grande pointure...
Voila!
(par Nanou)