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Le Salon de Mme Verdurin
12 juin 2005

Jules César, de Shakespeare

Bon ce soir, Indri et moi, on est allées voir Julius Caesar en anglais au théatre de Chaillot. Il s'agissait d'une mise en scène de Deborah Warner, avec beaucoup d'artistes, y compris certains que le Nouvel Obs qualifient de "comptant parmi les meilleurs comédiens anglais". Moi je ne connaissais que l'un d'entre eux.. (Ralph Fiennes ... rhaaa).
Mais je dois dire qu'ils étaient effectivement tous excellents... Octave était un peu inconsistant, mais je pense que ca tient d'avantage au texte qu'à l'acteur.

Voila.. Alors j'avais lu des trucs dithyrambiques sur la mise en scène. Je suis partagée. Que je vous explique... j'avais lu des choses sur "le dépouillement de la mise en scène"... et on en parlait avec notre voisine (fort parisienne, soit dit en passant), qui avait vu une Médée de la même metteuse en scène, quelque chose de très intimiste nous dit-elle..

Bon, et puis la pièce commence... la première partie comprend la machination, l'assassinat, les harangues de Brutus et d'Antoine aux funérailles, et les émeutes dans les rues, jusqu'a l'assassinat du poète Cinna (que la foule a confondu avec le conjuré du meme nom).
Et là, la foule, c'est une centaine de figurants, au moins .. autant pour le côté "intimiste". La voisine était fachée à l'entracte.

Ensuite, deuxième partie, c'est la préparation et le déroulement de la bataille de Philippes.. et là c'est nettement plus dépouillé, pas de décor quasiment, moins de persos sur la scène... mais bon.. quand même de trucs qui tombent en vrac sur scène pour simuler le champ de bataille, et un bruit absolument horrible aux changements de scènes (là c' était vraiment déconné, j'ai failli ressortir sourde).

Et la voisine à la fin, elle était contente, elle avait trouvé la deuxième partie magnifique.

Bon, mon opinion à moi, maintenant.

J'ai beaucoup aimé la première partie. Bon c'était pas intime, mais en même temps, faut pas se foutre de la gueule du monde, Jules César c'est une pièce politique, pas une pièce sur la nature humaine.
Et puis, les scènes qui portent vraiment sur l'homme, c'est à dire principalement celle où Brutus lutte contre lui-même, déchiré entre son amour pour César et celui pour Rome, celles-la étaient vraiment intimes, très dépouillées, très tragiques. Très belles.

Les scènes de foule, elles étaient très fortes. En revanche. Les mouvements étaient suffisamment bien pensées pour donner une impression d'anarchie tout en gardant une efficacité remarquable. Parmi mes scènes préférées, il y a évidemment les deux harangues de Brutus et Antoine. C'est là que la foule prend toute l'ampleur de son rôle dans la pièce. Elle est versatile, changeante, frivole, passionnée... débile. Belle et Débile, avec une égale majuscule aux deux. Elle se fait le mur, sur lequel les paroles de Brutus puis d'Antoine viennent frapper, le mur qui renvoit un écho et fait vivre ces discours.

J'avais jamais lu Jules César, à ma grande honte, avant... et ben Antoine, chez Shakespeare, c'est autre chose qu'un soudard débauché et mal dégrossi, je peux vous l'assurer.. dans un autre genre ca m'a fait penser à cette fameuse scène ou Richard III retourne Lady Anne. Là c'est pareil, la foule, on dirait un lapin qu'on écorche...zwip, en trois minutes elle est retournée. Il est charismatique, drole, émouvant.. et je dois dire que Ralph Fiennes est parfait dans le rôle. Un peu auparavant, il arrivait sur scène, après l'assassinat de César, et se montrait faible, chancelant, vulnérable, moitié de douleur, moitié par calcul. Mais c'est dans la harangue qu'il se révèle, vraiment.
Cela dit, Brutus est absolument magnifique aussi. On voit vraiment deux Brutus (deux Bruti?) se dessiner: celui de la sphère privée, déchiré, déchirant, ayant une scène magnifique avec sa femme, puis pleurant sur elle quand il apprend sa mort.... Et puis celui de la sphère publique, meneur, cynique, politicien en diable. Le premier à tremper ses mains dans le sang de César et à tendre ses mains rougies au public. Mais aussi le seul des conjurés présenté par Shakespeare comme agissant par pietas et non pas cupidité ou envie.

Bon enfin voila... et la deuxième partie, que la voisine à trouvée splendide m'a en revanche décue. Mais je pense que ca tient en partie au texte, qui est nettement moins fort. C'est répétitif (suicide des différents conjurés en croyant apprendre ou apprenant effectivement la défaite face à Antoine et Octave), et pas très dense du point de vue du texte. Octave n'apparaît que dans cette partie, et comme je l'ai dit, il est assez fallot, au moins autant que Lepide, c'est dire.
Les seules choses qui m'aient vraiment plues dans la deuxième partie c'est le tout début (dispute entre Cassius et Brutus, et puis le moment ou Brutus apprend à Cassius que sa femme Portia est morte.. et là Cassius lui répond "How 'scaped I killing when I cross'd you so? " C'est trop émouvant.), et la toute fin. L'éloge funèbre de Brutus par Antoine.. il est d'ailleurs intéressant de voir comment c'est Octave qui prend en charge le côté "officiel" et "matériel" de la chose, les funérailles, etc.. alors que l'éloge d'Antoine est celui d'un homme à un autre homme. Encore une fois la sphère privée voisine avec et se détache de la sphère publique.

Je suis pas bien sûre de la date à laquelle Shakespeare à écrit Jules Cesar. Mais c'est marrant, pask'on retrouve plus oui moins ébauchés, plus ou moins travaillés, des motifs apparaissant dans les tragédies plus connues. Le spectre vengeur et hallucinatoire de la victime, l'interaction entre le corps humain, le corps social, et le "corps" de l'univers.

Bon bref, dans l'ensemble, j'ai aimé  C'était la dernière à Paris, je sais pas si la pièce va tourner... surtout que c'est une production partagée entre le Luxembourg, l'Espage, l'Angleterre et la France.. donc ca risque plutot de tourner sur chacun des quatre théatres qui ont produit, qu'ailleurs dans les pays. Mais si vous avez l'occasion de voir une autre mise en scène de cette dame, ça a quand meme l'air d'être une assez grande pointure...

Voila!

(par Nanou)

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Commentaires
C
Raaah... Jules César de Shakespeare... Je suis JALOUSE! <br /> <br /> "Brutus, tu dors?" <br /> <br /> et puis : <br /> <br /> "Tu quoque, fili..." <br /> <br /> <br /> Raaah... <br /> <br /> Bon, moi je suis jamais allée le voir, je me souviens juste du livre. <br /> <br /> <br /> Nanou a écrit:<br /> et la deuxième partie, que la voisine à trouvée splendide m'a en revanche décue. Mais je pense que ca tient en partie au texte, qui est nettement moins fort.<br /> <br /> Chuis d'accord! Je n'ai presque pas de souvenir de la deuxième partie de la pièce... Alors que les deux discours de Brutus et d'Antoine, c'est "trop d'la balle"! <br /> <br /> littleboing a écrit:<br /> Enfin, il est vrai que le personnage d'Octave était un peu pâlichon, et son apparition est même presque passée inaperçue, mais je pense également que c'était un peu voulu de la part de l'auteur (donc, ce cher william) car les figures fortes de la pièce sont bien Brutus et Antoine, les deux porteurs des sentiments forts.<br /> <br /> <br /> Je me souviens pas trop du personnage d'Octave, mais tu dois avoir raison : les héros, ce sont ici Brutus et Antoine. Je crois qu'Octave est plus présent, et plus intéressant dans la pièce Antoine et Cléopatre (1606). <br /> <br /> Nanou a écrit:<br /> Je suis pas bien sûre de la date à laquelle Shakespeare à écrit Jules Cesar. Mais c'est marrant, pask'on retrouve plus oui moins ébauchés, plus ou moins travaillés, des motifs apparaissant dans les tragédies plus connues. Le spectre vengeur et hallucinatoire de la victime, l'interaction entre le corps humain, le corps social, et le "corps" de l'univers.<br /> <br /> <br /> J'ai trouvé la date : 1599... On est encore sous Elizabeth. En fait, c'est le moment où il commence son cycle de tragédies noires (Hamlet, Othello vont suivre sous peu). <br /> <br /> Enfin, moi ce que je trouverai toujours inoubliable dans Jules César, c'est, d'abord, le tout début (Brutus paumé au petit matin... ), et le passage des harangues, avec le retournement de la foule. A étudier, c'est du petit lait. Tous les bons vieux procédés de rhétorique sont là : l'usage du vraisemblable et du possible plutôt que du concret, les fausses concessions (le discours d'Antoine, si je me souviens bien, est complètement fondé là-dessus). <br /> <br /> Nanou a écrit:<br /> Et puis celui (Brutus) de la sphère publique, meneur, cynique, politicien en diable. Le premier à tremper ses mains dans le sang de César et à tendre ses mains rougies au public. Mais aussi le seul des conjurés présenté par Shakespeare comme agissant par pietas et non pas cupidité ou envie.<br /> <br /> <br /> C'est très intéressant qu'ils aient mis en valeur cette dimension du personnage... Y a de quoi rabattre ce caquet à ce vieux shnock de Socrate, là. En effet, même si un personnage sait que ce qu'il fait est juste, qu'il agit pour des motifs nobles, il est incapable de convaincre simplement la foule de ce qui est vrai, et il est contraint de passer par la basse cuisine rhétorique : persuasion et manipulations du discours... J'avais pas vu cette dualité dans le personnage de Brutus, à la lecture de l'oeuvre. Va falloir que je le relise, là. <br /> <br /> Bon, en tout cas, merci pour ce commentaire, je vous adore!
I
bon, en fait, moi, j'ai pas trop de choses à rajouter à ce commentaire qui est assez complet ! <br /> Bon, dans un premier temps, je vais un peu jouer le rôle de ma voisine de droite (la parisienne. Rôle assez difficile à tenir, ceci dit, car si ceux qui habitent le reste de la france sont des provinciaux, moi, venant du pacifique, je ne suis qu'une pauvre primitive!), et me fonder un peu sur la mise en scène. C'est vrai que la première partie était nettement mieux réussie, à mon sens, que la seconde. En fait, elle était surtout plus reposante, et donc, l'écriture du très grand poète qu'est ce cher William Shakespeare n'en est que plus mis en valeur. <br /> <br /> J'ai aussi beaucoup aimé la partie où brutus lutte avec lui même, et le côté intimiste, qui collait bien à ce genre de scène, a été renforcé avec l'éclairage tamisé, au moyen de petites lampes posées ici et là (difficile de décrire comme ça). Cela permettait de créer une connivence avec le personnage, de se rapprocher de lui. Et le côté mi-ombre, mi-lumière n'est pas non plus totalement innocent. Je pense même que si Shakespeare l'a placé au lever du jour, cela a beaucoup de significations: c'est un jour nouveau qui se lève, et le moment qui se trouve entre l'ombre et la lumière reflète l'état d'esprit de brutus. Il est confronté au dilemme tragédien, il est entre obscurité et lueurs. Bref, cette partie était bien rendue. <br /> <br /> Par contre, même si je pense que c'était, de façon légitime, pour figurer l'angoisse de la guerre que la mise en scène a été basée sur une musique qui me faisait sursauter à chaque fois, l'ambiance, trop désordonnée et trop éclatante, de la seconde partie était un peu inutile: nul besoin de tant de fracas pour marquer l'importance de la guerre ! c'était même plutôt stressant! <br /> <br /> Enfin, il est vrai que le personnage d'Octave était un peu pâlichon, et son apparition est même presque passée inaperçue, mais je pense également que c'était un peu voulu de la part de l'auteur (donc, ce cher william) car les figures fortes de la pièce sont bien Brutus et Antoine, les deux porteurs des sentiments forts. J'ai même eu parfois l'impression qu'Octave n'était rien d'autre qu'un petit automate (et ça n'est pas faute d'avoir pris un blondinet avec un charisme certain, quand meme ). <br /> <br /> bref, voilà donc mon opinion sur la pièce, qui m'a bien plu dans l'ensemble, et je sens que je vais y aller plus souvent, moi, au théâtre !
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