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Le Salon de Mme Verdurin
11 juillet 2005

Beaucoup de bruit pour rien, de Kenneth Brannagh (d'après Shakespeare)

J'adore cette adaptation, et c'est rare, quand je vois un bouquin porté à l'écran. Kenneth Branagh reste très fidèle au texte shakespearien, sait le mettre en valeur et l'allège encore par sa mise en scène alerte et enlevée.

Sigh no more, ladies,
Sigh no more…

L’entrée du film se fait par un paysage séculaire, celui d’une villa (de Sicile, théoriquement) entourée de vignes. Ce cadre intemporel (on a l'impression que rien n'a changé depuis l'époque romaine) donne l'impression d'un havre de paix, d'un paradis où l'on peut rire et danser à son aise.



D'ailleurs, on voit que les personnages sont en plein pique-nique.Les femmes sont tout habillées de blanc, dans de grandes robes bouffantes, cheveux lâchés : cela nous donne une impression de liberté et de virginité tout à la fois (ambiguité qui finalement est l'une des clefs de la pièce de Shakespeare).

Dans le générique, les femmes, joyeuses, courent se changer, sautent sur les lits. Les hommes qui reviennent de guerre vont se baigner dans les thermes et les fontaines, s’éclaboussent de partout, sous la musique entraînante de Patrick Doyle.

Le rythme de l'ensemble du film est très bien mené. Kenneth Branagh a su nous préserver des « longueurs » de Shakespeare (qui, au départ, n’en étaient pas forcément : il ne faut pas oublier que ses contemporains avaient un sens du comique et du verbe certainement assez différent du nôtre).


Les acteurs ne sont pas mal non plus. Kate Beckingsale est parfaite pour le rôle d'Héro, physiquement, mais aussi par sa prestation : on dirait une petite fille innocente, pleine de joie de vivre, qui rit aux éclats devant les pitreries de sa cousine. L'acteur qui joue son fiancé Claudio, Robert Sean Leonard, est adéquat dans le genre du crétin romantique, adolescent attardé bien larmoyant.

Don Leonato et son frère, Don Antonio sont représentés comme des bourgeois barbus en costume marron de commerçants.

Don John, le méchant, est joué par Keanu Reeves. D’après Mesmento, Keanu Reeves est un mauvais acteur, parce qu’il ne sait jouer que des rôles d’hommes fermés/quasi-muets. Comme c’est le cas du personnage de Don John, c’est parfait ici.  Il s'oppose au personnage ouvert et souriant de son demi-frère Don Pedro, joué par Denzel Washington.


Quant à la prestation d'Emma Thomson et de Kenneth Branagh dans les rôles de Benedick et Béatrice, elle est carrément superbe. Dès qu’ils se voient, se parlent, on comprend qu’ils se mettent à jouer un rôle, devant tous les autres qui se mettent à écouter et à rire de leurs répliques. Pseudo-indifférence… alors qu’en réalité, ils se cherchent systématiquement.
Branagh a su garder les meilleurs passages de leurs escarmouches d’esprit parfois un peu longuettes dans la pièce.

Emma Thompson a su trouver un ton un peu plus sombre dans certaines répliques, qui donnent de la profondeur à sa relation avec Benedick.
« You always end with a jade’s trick. I know you of old. » « Toujours vous finissez sur une dérobade. Je vous connais bien. » (évocation d’une relation passée qu’ils auraient eu ensemble. La tristesse du personnage, qui murmure cette fois sa réplique pour elle-même (alors que dans Shakespeare ce n’est qu’un jeu de mots de plus), montre que Béatrice a eu ou failli avoir une relation avec Benedick, et qu’elle en a souffert. Mais elle a aussi un grand sens du comique (voir photo).



Branagh joue super bien Benedick : d’abord macho et célibataire convaincu, grand gamin en fait… Il « dénonce » Claudio à Don Pedro d’un air parfaitement scandalisé : « He’s-in-love ! ».
La scène où il « apprend » que Béatrice est amoureuse de lui est un sommet de burlesque : le jeu de scène où il plie et déplie dans tous les sens une chaise pliante, avant de s’effondrer dessus (voir photo ci-dessous)... c'est tordant!   Je pense qu'ils ont dû beaucoup travailler cette scène (à force de la revoir, je me suis aperçue que le rythme était calculé à la nanoseconde près), mais le résultat est très naturel et très réussi.



Il est aussi très bon dans les monologues : il est adopte le bon rythme, celui qui fait qu'on ne s’ennuie pas.

Kenneth Branagh a su garder, enfin, tout le côté théâtral de la pièce : l'un des thèmes fondamentaux de l'oeuvre étant le jeu des faux-semblants, il a su le préserver. Dans la scène du bal masqué, par exemple, les masques sont bien mis en valeur par des gros plans rythmés et parfois surprenants. De même, dans la scène des fausses révélations sur Benedick et Béatrice, il s'est servi du décor convenu du jardin pour souligner l'artificialité et le côté "feint" de l'instant.

Bref, ce film est une réussite. Je vous conseille de le voir dès que possible! Le film existe en DVD et il passe de temps en temps sur Arte.

(Par Crooke)

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